Photo © endParalysis.org : chaque année, entre 250 000 et 500 000 personnes supplémentaires sont paralysées à la suite d’une lésion de la moelle épinière (Source : fiche d’information de l’OMS). Beaucoup d’entre elles sont jeunes, comme Jamie (Pays-Bas) qui est devenu paraplégique après un accident de voiture à l’âge de 3 ans.
Recherche pour guérir les lesions de la moelle épinière
Pouvons-nous mettre fin à la paralysie ?
Une interview par Health Europa Quarterly
English version (version originale) : here
Nederlandse versie: hier
Corinne Jeanmaire, de la fondation endParalysis, affirme que la guérison des lésions de la moelle épinière deviendra possible, mais il faudra du temps, des ressources et une approche intelligente.
Corinne Jeanmaire a lancé la fondation endParalysis (stop à la paralysie) en juin 2014, 13 ans après qu’un accident de voiture la paralysa à partir de la taille. Ici, elle dit à Health Europa Quarterly pourquoi, malgré les obstacles, elle pense qu’une thérapie sera disponible un jour, et pourquoi il est essentiel que les décideurs accordent plus d’attention à cette recherche. La fondation endParalysis est une petite organisation avec un grand rêve : contribuer à l’élaboration d’ un traitement pour les lésion de la moelle épinière (LME). Axée sur les besoins des patients et concentrée sur l’objectif de guérison, la fondation néerlandaise s’est engagée à soutenir des projets collaboratifs de recherche à fort impact. L’objectif est de combler le fossé entre le laboratoire et l’application à l’humain pour offrir à des millions de patients dans le monde un avenir sans paralysie après une LME.
Recherche sur les lésions de la moelle épinière
La fondation endParalysis vise à accélérer la recherche pour guérir les lésions chroniques1 de la moelle épinière. Dans quelle mesure êtes-vous confiante quant à l’élaboration d’une thérapie, et qu’est-ce qui a freiné les progrès dans ce domaine ?
Les personnes vivant avec une lésion de la moelle épinière ont longtemps reçu la promesse qu’un traitement allait être trouvé à court terme. Évidemment, nous n’en sommes pas encore là, et nous devrions nous abstenir de promettre quoi que ce soit, surtout en terme de calendrier.
Cependant, je suis convaincue que la jeune génération aura un jour la chance d’obtenir un niveau de récupération fonctionnelle significatif. Non seulement les scientifiques ont bien progressé dans la compréhension et la tentative de traiter les LME, mais nous vivons également dans une ère qui offre des percées considérables dans les domaines de la technologie et de la biotechnologie. Les lésions de la moelle épinière pourront être traitées un jour. Nous devons simplement accorder à cette recherche l’attention, les ressources et l’approche intelligente qu’elle mérite.
Cela dit, les obstacles actuels à la guérison comprennent :
La grande complexité et les multiples ramifications des lésions médullaires qui, combinées à une taille de marché limitée, conduisent à un manque de financement public et privé ;
Les priorités et objectifs parfois divergents (des chercheurs par rapport aux patients) et le manque de coordination vers de meilleurs résultats pour les patients et un passage plus rapide au stade de l’essai clinique ;
Le manque de concentration sur la recherche sur les LME chroniques qui sont pourtant cliniquement plus pertinentes ;
L’environnement législatif actuel qui ne permet pas toujours de tester des thérapies prometteuses ou une combinaison de ces dernières de manière sûre et cependant rapide.
Quelles sont les thérapies et les approches les plus prometteuses explorées par la communauté des LME à l’heure actuelle?
De nombreux scientifiques pensent que seule la combinaison de plusieurs thérapies permettra une récupération fonctionnelle significative. De nombreux traitements sont maintenant (ou seront bientôt) testés sur des patients humains ou animaux atteints d’une LME chronique : Traitement et thérapies lésions de la moelle épinière
Les greffes de cellules (souches) pour remplacer / régénérer les cellules mortes et / ou remyéliniser la moelle épinière et / ou favoriser la plasticité2
Les thérapies géniques pour désactiver les facteurs inhibiteurs qui empêchent la repousse nerveuse et permettent de délivrer efficacement une enzyme ou molécule thérapeutique spécifique au niveau de la moelle épinière
Des structures de biomatériaux ou des greffes de nerfs périphériques pour faire un pont à travers la lésion,
Des molécules / enzymes / peptides ((facteurs de croissance), pour favoriser la repousse nerveuse et/ou atténuer les facteurs inhibiteurs et dissoudre le tissu cicatriciel à un stade chronique
La stimulation électrique (péridurale) des nerfs du système nerveux central pour «réveiller» les nerfs dormants et les voies réflexes et éventuellement réactiver des connexions nerveuses.
Plus d’informations sur les thérapies prometteuses sont disponibles sur le site web endParalysis.org dans la section Recherche.
Pourquoi la fondation endParalysis se concentre-t-elle sur les lésions chroniques plutôt que sur les lésions aiguës ?
Traditionnellement, les chercheurs se sont davantage concentrés sur les lésions aiguës, pour diverses raisons a priori assez logiques. Au stade aigu, la lésion est encore « fraîche » et les dommages secondaires à la moelle épinière peuvent encore être évités. Par conséquent, les stratégies visant à protéger les nerfs d’une dégradation plus poussée sont toujours applicables.
À l’inverse, dans un contexte chronique, la neuro-protection n’est plus pertinente, et un problème supplémentaire apparait : le tissu cicatriciel qui entrave désormais la repousse nerveuse. Enfin, une autre raison, plus matérielle mais tout à fait primordiale, explique que les scientifiques préfèrent la phase aiguë pour effectuer des essais pré-cliniques : les essais sur les animaux avec une LME aiguë sont plus rapides, plus simples et donc moins chers.
Cependant, quittons le laboratoire et considérons les patients humains. Près de trois millions de personnes souffrent d’une lésion chronique de la moelle épinière dans le monde, contre seulement des milliers qui ont temporairement une lésion médullaire aiguë (puisque le stade dit « aigu » ne dure que quelques semaines). Si vous étiez une entreprise prête à investir dans un traitement, par quel marché seriez-vous initialement attirée ?
En outre, la potentialité de trouver et d’appliquer une thérapie pour les lésions médullaires est-elle vraiment plus forte au stade aigu ? C’est loin d’être certain. La mise sur le marché d’une thérapie pour les lésions aiguës s’est révélée beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, principalement parce que la mise en œuvre d’essais chez l’homme est plus difficile au stade aigu qu’au stade chronique. Une récupération spontanée peut en effet avoir lieu en phase précoce (aiguë ou sous-aiguë) de la lésion, ce qui signifie qu’un plus grand nombre de patients est nécessaire pour déterminer si une thérapie est vraiment efficace. Le recrutement des patients à un stade aigu est également plus difficile car ils sont souvent médicalement ou mentalement trop instables pour participer à un essai. En outre, l’éthique et la sécurité peuvent également être discutables dans ce cas.
Pourquoi la fondation endParalysis se concentre-t-elle sur la réparation biologique par opposition aux thérapies et dispositifs compensatoires externes ?
Aussi sophistiqués qu’ils puissent le devenir, ils ne sont pourtant pas susceptibles de nous rendre tout l’éventail des fonctions et (surtout) des sensations qui nous rendent humains. Les conséquences de la LME vont bien au-delà de l’incapacité à se lever et marcher. Pensez à l’absence de sensations corporelles en dessous de la lésion – pensez à la perte de contrôle intestinal et urinaire, ainsi que sexuel et aux autres fonctions autonomes du corps.
Sans ignorer les progrès réalisés dans ce domaine, nous ne souhaitons pas financer ou nous concentrer sur des thérapies et des dispositifs externes. Les dispositifs comme les exo-squelettes sont intéressants en termes de physiothérapie et pour maintenir le patient en forme. Ils reçoivent une attention et un financement considérables (surtout en vue d’applications industrielles et militaires, avec des retombées dans le domaine médical), et il ne fait aucun doute que leur performance va s’améliorer considérablement au cours des prochaines années.
Ces technologies contribueront sans aucun doute à améliorer la qualité de vie des personnes handicapées. Toutefois, la fondation endParalysis est déterminée à se concentrer uniquement sur des approches susceptibles de permettre aux patients de récupérer (progressivement mais véritablement) les fonctions et les sensations. Une stratégie de réparation intelligente pourrait peut-être, à l’avenir, combiner des approches biologiques et technologiques. L’électronique sera-t-elle capable de remplacer la biologie ? Nous devons rester ouverts à diverses stratégies et sortir des sentiers battus. Cependant, nous devons nous en tenir à notre objectif : ce que nous visons, c’est l’expérience complète de la biologie humaine, et nous ne devrions pas nous contenter de quelques fonctions « ersatz », aussi technologiquement impressionnantes qu’elles puissent paraître.
Dans quelle mesure la recherche sur les lésions médullaires reçoit-elle l’attention qu’elle mérite de la communauté médicale, des décideurs politiques et des organismes de financement ?
Les lésions de la moelle épinière représentent un marché relativement petit et complexe pour toute entreprise qui souhaite investir dans la recherche médicale. En conséquence, cette recherche est largement sous-financée et manque de personnel. De plus, le financement public accordé à ce domaine est faible et tend à diminuer. Si les gouvernements et les décideurs prenaient conscience des conséquences dramatiques et du coût économique énorme des LME pour la société, ils augmenteraient sans aucun doute le soutien et le financement pour trouver un traitement.
Photo © endParalysis.org : Les blessures de la moelle épinière entraînent une forte dépendance et des coûts énormes. Mattie (Irlande) est paralysé à partir du cou, suite à une méningite lorsqu’il avait 3 ans. Il ne peut respirer sans l’aide d’une machine et nécessite des soins 24 heures sur 24.
La dernière recommandation européenne dans ce domaine remonte à 2002 et mentionne : « aux États-Unis, les coûts globaux des lésions médullaires ont été estimés à 9,73 milliards de dollars par an et les coûts à vie d’un individu atteint de tétraplégie à un million de dollars. Ces chiffres […] sont certainement plus élevés dans l’Europe élargie […] ». Les coûts ont continué à augmenter depuis lors, mais cette recommandation doit encore être suivie d’effets.
Un autre levier nécessaire pour mettre un traitement à la disposition du public est de nature législative. Accélérer la voie vers la guérison nécessiterait un processus plus rapide de la part de l’Agence Européenne des Médicaments et de la Food and Drug Administration pour valider une demande d’essais cliniques et la possibilité de tester plus rapidement des combinaisons thérapeutiques, sans pour autant compromettre les niveaux de sécurité.
Du côté positif, l’attention et le financement de l’industrie (entreprises pharmaceutiques, start-ups bio-technologiques) semblent croître, avec un nombre plus élevé d’essais cliniques (en cours ou prévus) financés par des entreprises privées.
Comment la fondation endParalysis travaille-t-elle pour contribuer à l’application des recherches prometteuse sur l’humain, et quels sont les défis rencontrés ?
EndParalysis est une fondation jeune et de très petite taille, mais s’engage à contribuer à la guérison des lésions chroniques de la moelle épinière.
D’une part, nous cofinançons quelques projets de recherche soigneusement sélectionnés (uniquement des recherches cliniquement pertinentes s’appliquant aux patients chroniques, visant principalement à la réparation fonctionnelle). Nous sommes surtout susceptibles de sélectionner et de soutenir des projets au stade pré-clinique car les grandes sociétés pharmaceutiques ou d’autres organismes de financement sont souvent réticents à investir à ce stade. De cette façon, les organisations de patients peuvent bel et bien avoir un impact et empêcher un traitement prometteur de rester bloqué dans un laboratoire et l’aider, le cas échéant, à atteindre les essais cliniques.
D’autre part, nous travaillons avec nos partenaires pour influencer la priorisation et optimiser l’approche de recherche. Nous insistons pour qu’une plus grande attention soit accordéeà la recherche de thérapies pour les lésions chroniques. Les patients étant extrêmement stables et beaucoup plus nombreux à ce stade, les tests cliniques sont facilités et fiabilisés, et le marché offert aux investisseurs potentiels est beaucoup plus attractif.
Parallèlement à cela, nous préconisons une recherche plus intégrative (incluant les besoins de la phase d’application à l’humain des le départ), collaborative (entre les différents scientifiques mais aussi les patients) et axée sur les objectifs (des patients). Nous ne pouvons pas ignorer que les objectifs et les priorités des chercheurs ne correspondent pas toujours à 100% aux objectifs des patients. Chaque partie a son propre écosystème et ses contraintes.
Les blessés médullaires, qui vivent avec les lourdes conséquences de la LME, ne comprennent pas toujours la complexité scientifique de cette condition ni les obstacles à l’élaboration d’une thérapie et demandent une solution à court terme. Les chercheurs, quant à eux, se concentrent naturellement sur leur propre domaine d’expertise et doivent gérer les contraintes de leur laboratoire (y compris la concurrence avec d’autres laboratoires, les difficultés financières dues au financement public souvent décroissant et la nécessité de publier leur travail). Qui a une vue d’ensemble sur la recherche et agit en conséquence ?
Corinne Jeanmaire – Fondatrice et Présidente Fondation endParalysis
Remarques :